mardi 27 mai 2014

La revanche de nos amours imaginaires*


Je me souviendrai longtemps que j'étais en train de dévorer une immense assiette de moules-frites avec plein de ketchup au pied d'une abbaye quand j'ai appris que Xavier Dolan remportait à Cannes le Prix du Jury. Je n'ai rien dit à personne (il y avait pourtant vingt-cinq invités qui mangeaient des moules-frites à mes côtés !) parce que ça fait midinette snobinarde mais j'ai ressenti une émotion qui n'était pas due au fait que je n'avais jusqu'ici jamais mangé de moules-frites de ma vie. Le lendemain, j'ai regardé le moment où Xavier Dolan reçoit son prix et le petit discours qui a suivi et, parce que tout s'est mélangé (combien compte le cinéma, combien comptent les images qui nous surprennent par hasard parfois à notre insu, combien comptent la détermination, la conviction intime de ce que l'on entreprend, combien Xavier Dolan est jeune et comme c'est beau et énervant), j'avoue que toute midinette snobinarde que je suis, j'ai un peu pleuré.
Bon.
Je me souviendrai longtemps aussi que c'est dans la belle salle du Coutume Café, devant un Cortado et un granola avec plein de bons fruits frais (dont un quartier de poire pochée à la cardamome vraiment pertinent), que j'ai lu le numéro 700 des Cahiers du Cinéma, complètement enthousiasmant et inspirant, délicat et enlevé, infiniment précieux tant il suscite de désirs. C'est un désir immatériel, qui ne s'achète pas et ne se montre à personne, qui ne sert à rien mais qui est complètement indispensable, c'est voir et revoir des films, dans tous les sens, n'importe quand, comme l'envie me prend. C'est l'un des seuls goûts de l'adolescence qui ne comporte aucune amertume. Lisez ce numéro des Cahiers et repensez vous aussi à ce moment de cinéma qui a provoqué une émotion comparable au coup de hache qui a brisé la mer gelée en vous. Ça vaut presque une séance chez l'analyste !
En mai, la résistance contre les avanies de l'existence s'organise comme elle peut.
C'est se retrouver à relire La vie mode d'emploi dans la chambre d'un château en lisière de la mer. C'est prendre le train pour retrouver une amie au déjeuner dans la rue du marché Popincourt. C'est cuisiner des asperges, des fèves, des petits pois, avec tout ce que cela implique de préparation, des mains de l'autre que l'on frôle au-dessus de la passoire émaillée. C'est acheter des taies d'oreiller rose blush et une jupe à pois même si on ne sait pas très bien avec quoi on la portera. C'est observer la lente éclosion d'un bouquet de pivoines. C'est Wes Anderson. C'est G. qui veut absolument voir Maps to the stars le jour de sa sortie et se justifie C'est mon Wes Anderson à moi ! C'est le fraisier de Madame Durand et la tarte à la rhubarbe de Marianne. C'est écrire le long des journées fériées. C'est tenter de garder au creux de soi l'idée qu'on ne cèdera rien au chagrin.

*Je fais de cette phrase de Xavier Dolan ma devise pour quelques temps.

Libellés : , , ,

12 Comments:

Anonymous Audrey said...

Je n'ai plus de nouvelles depuis quelques temps, alors je passe te lire pour en prendre en secret. J'ai bien pensé à toi en lisant le numéro 700 des Cahiers du cinéma. Ne cède rien au chagrin, tu as raison.
Je t'embrasse.
A.

27 mai 2014 à 13:44  
Anonymous Eve Away said...

Patoumi...J'ai les larmes aux yeux, moi aussi, en lisant ce billet.
D'abord parce que tu m'apprends, de la plus touchante des façons, cette très jolie nouvelle (je suis en voyage et le Festival m'était un peu sorti de l'esprit - j'ai honte !) C'est trop bien !! *
Ensuite parce que, décidément, les coïncidences sont troublantes (il y a eu très très récemment, et très précisément, un cortado accompagné de granola à la poire et à la cardamome (!) - entre autres - et Pérec dans ma valise comme un réconfort assuré en cas de vague à l'âme.)
Et puis surtout, surtout, je suis extrêmement émue par ta manière de déjouer le chagrin.
Je t'embrasse aussi, si tu le permets.

* remarque futile de midinette qui ne s'assume pas tout à fait non plus : voilà encore une raison de venir à Montréal...il n'est pas rare d'y croiser Xavier Dolan dans une chouette rue ou au cinéma... :)

27 mai 2014 à 17:10  
Blogger Cécile said...

J'adore te lire, chaque billet est comme une petite surprise sucrée... ou douce amère parfois...mais vraiment, hein.

27 mai 2014 à 22:24  
Anonymous Marie said...

Les mots de Dolan étaient vraiment épatants, oui, un bon moyen de mettre le chagrin à distance raisonnable des choses douces... Je vais chercher le n° 700 en pensant à toi (et un peu à mes années cinéma-Paris III). Ici, dans le genre grand-écart qui fait sourire, j'ai aimé le texto de mon frère qui me disait qu'il était en pleine mer, à faire de la pêche aux crevettes. J'avais le nez dans ma thèse qui n'en finit pas de se finir... et. Voilà. Des pensées douces !

28 mai 2014 à 06:18  
Anonymous zenaide said...

Moi la phrase de Dolan que je garde c'est :Tout est possible à qui rêve, ose et n'abandonne jamais.

28 mai 2014 à 22:18  
Blogger patoumi said...

Audrey: je suis à fond contre le chagrin ! Mais parfois il remporte la partie le vilain.

Eve away: c'est bon de se savoir comprise :) Je me demande ce que va voir XD au cinéma... J'aime beaucoup son élan, son audace, son ton presque irrévérencieux. J'ai adoré le générique de fin de Tom à la ferme mais une fois rentrée à la maison, quand j'ai voulu réécouter la chanson, je l'ai trouvée beaucoup moins belle, il n'y avait plus les belles images de Dolan pour aller avec...

Cécile: ça me touche, merci ! J'écris les billets de plus en plus vite...

Marie: pour plein de raisons, je pense beaucoup à toi aussi. Un jour la thèse se termine et on est presque nostalgique... Bisous, et pensées, encore.

Zenaïde: par pudeur je n'ai pas voulu l'écrire alors merci de citer ça ici !

29 mai 2014 à 00:59  
Anonymous Marie said...

J'ai eu les larmes aux yeux pour Dolan... Oui, merci Zenaïde d'ajouter ces mots ! En fait, ce qui est bon, c'est qu'il le dit... mais qu'il le vit aussi. C'est ça le plus fort et le plus soulevant ! C'est contagieux, ça met du souffle dans les poumons !

29 mai 2014 à 07:42  
Anonymous Sylvie said...

Heureusement, oui, Xavier Dolan et son très beau discours, car Marianne n'avait plus de tarte à la rhubarbe.

30 mai 2014 à 12:54  
Blogger Eve Away said...

Hélas, j'ignore ce que X.Dolan va voir au cinéma...c'est à l'avant première de Tom à la ferme, justement, que je l'ai croisé.. (je partage totalement ton enthousiasme pour le générique de fin!) En revanche, il y a quelques années, je m'étais assise à côté de lui par hasard - et sans m'en apercevoir du tout ! - lors d'une projection de L'Etranger de Visconti, au Festival Lumière. J'étais arrivée en retard, complétement hors d'haleine, et un bénévole m'avait aidée à trouver la seule place libre dans la salle. Ce n'est que quand il s'est levé pour présenter le film - en manquant tomber par dessus mes affaires éparpillées un peu partout au sol et en me lançant un large sourire - que j'ai compris qui était mon (très jeune) voisin ! (je n'ai vu que plus tard Les Amours imaginaires...puis ses autres films !) Je me souviens qu'il avait eu des mots très justes au sujet de Visconti et de Mastroianni.

Je crois bien qu'il souriait, aussi, dans la rue du Mile End où je l'ai reconnu au dernier moment (c'est plus difficile maintenant qu'il n'a plus sa coupe de cheveux caractéristique !)

Hum hum..fin de la série "Midinettes".... (X.Dolan, c'est un peu "mon" Vincent Delerm à moi :)

Prends soin de toi, Patoumi ! (j'ai plein de raisons de penser à toi, ces temps-ci moi aussi...je t'en dis plus bientôt !)

30 mai 2014 à 23:22  
Blogger patoumi said...

Bon, on dirait que la planète entière a pleuré devant le discours de XD ! (mais pas G. Il aime bien et tout mais ça ne lui a rien fait du tout)

Marie: oui, il donne du souffle, c'est tellement rare !

Sylvie: la saison de la rhubarbe est courte, il faut vite revenir. Sinon à l'automne, c'est clafoutis aux mirabelles.

Eve Away: trop classe les anecdotes ! Si je dis que j'ai croisé Louis Garrel à vélo dans les rue de Rennes, c'est tout de suite moins intéressant !
Raconte nous vite la suite :)

31 mai 2014 à 00:19  
Blogger Unknown said...

Patoumi, je suis ravie de voir que le discours de X.D. vous a aussi émue que moi !(ainsi que vos nombreux lecteurs qui postent toujours des commentaires très justes.)
J'ose enfin vous écrire, après avoir lu et relu votre Alibi comme un livre (ceux que l'on adore relire car ils vous rappellent une partie de votre vie qui vous est chère mais un peu loin maintenant).
Je me demandais si vous aviez vu cette lettre très touchante d'un X.D enfant qui écrit à un acteur qu'il admire beaucoup (Leonardo Di Caprio). C'est assez incroyable! (et puis mon âme de midinette se demandait si l'adresse était toujours la même...)

2 juin 2014 à 01:50  
Anonymous patoumi said...

Ann ie: merci pour cette histoire de lettre de XD à LDC ! On y sent déjà beaucoup d'obstination ! Ça m'a permis aussi de tomber sur le blog de XD avec ses belles photos argentiques...
Merci beaucoup pour les mots gentils aussi, qui me touchent beaucoup. Je n'ose jamais relire L'alibi, je ne sais pas très bien pourquoi...

2 juin 2014 à 23:26  

Enregistrer un commentaire

<< Home