vendredi 31 janvier 2014

L'Italie l'hiver (1)


Le jour du départ, c'était à la fois l'anniversaire de ma mère, du père de G., de l'amoureux de S. (F.) et de H., qui avait eu de l'importance pour G. Cela faisait un certain nombre de messages à envoyer depuis l'aéroport, sans se tromper sur leur contenu et sur la modulation d'affection que nécessitait la variété des destinataires.
Ce matin-là, il n'avait cessé de pleuvoir. Une pluie drue et obstinée qui délavait les champs et les forêts. Dans la voiture, je résistais à l'envie de grignoter l'un des biscuits chocolat blanc et canneberges que j'avais glissés dans mon bagage-cabine (un sac mou très pratique, rose pâle, avec une grande fermeture à glissière, où j'entasse pour ce genre de circonstances divers appareils photographiques eux-mêmes enfermés dans un autre sac et puis cahiers, crayons, romans, vaste foulard, mouchoirs, magazines, baume à lèvres, rouge à lèvres etc), je me contentais de nourrir mes mains désséchées à l'aide de la délicieuse crème Résurrection des mains Aesop, la seule marque de cosmétique qui ait pensé à citer un vers de T.S. Eliott sur ses produits. Sauf que pour ma part, depuis les quelques jours qui précédaient ce voyage d'hiver en Italie, je n'arrivais pas du tout à me défaire de la voix de V.D. (vous avez deviné) qui murmure : Et dans l'air du soir/La chrysler s'envole/dans les fougères et les nénuphars (ne me demandez pas pourquoi)(celle-là serait plus à propos, en plus d'être vraiment de lui).
Dans l'avion, G. lit La communauté Universelle d'Eugène Green, je l'envie en silence. J'essaie de lire Epépé de Ferenc Karinthy mais le sommeil a raison de moi, je sens juste une main passer doucement dans mes cheveux avant de m'endormir tranquillement.
A Venise, il fait nuit. Nous suivons les instructions très précises de Marco, le chef d'orchestre qui nous loue son appartement pour quelques jours. On m'aide à hisser ma valise sur le bateau-bus qui permet de rejoindre l'aéroport au cœur de la ville. 
La nuit noire, interrompue ça et là par des lumières tremblotantes, le clapotis de l'eau, le silence sinon, les silhouettes floues des îles, des palais et des coupoles, donnent à cette arrivée un aspect fantômatique. Ce voyage consiste aussi à adoucir quelques fantômes parce qu'il y a dix ans maintenant, alors que j'avais fait la connaissance de G. environ six mois auparavant, nous avions déjà décidé de partir à Venise en hiver. La méconnaissance que nous avions de l'autre, les embarras que nous traversions alors avec nous-mêmes, les représentations romantiques rattachées à la ville et la pression qu'elles peuvent exercer, avaient laissé une petite cicatrice que nous tenions à panser dès notre retour en formulant cette promesse avisée : Nous reviendrons, dans dix années.
L'appartement de Marco était situé au troisième étage d'un joli immeuble caché dans une cour à laquelle on accédait après avoir emprunté plusieurs minuscules venelles depuis la calle dei greci. Les rues qui se croisent à angle droit, se rétrécissent en ruelles étroites et sans lumière, s'élargissent en places romanesques, se poursuivent après des portiques obscurs, des ponts, quelques marches, et puis l'eau partout, son onde lancinante, ses reflets, ses gondoles délaissées, ne cessent de me fasciner. Les valses silencieuses désormais disparues derrière les fenêtres des palais décrépits, les petites bougies devant le doux visage des icônes m'emplissent d'une très joyeuse mélancolie.
Ce soir-là, nous dînons à Vini da Gigio. Les taglionis à l'araignée de mer sont précis et rassurants, notre bonne humeur nous fait supporter le reste (le service nonchalant, un canard alla burannella sans intérêt, une polenta approximative). Sur le chemin du retour, les lumières du glacier nous font faire un détour, je m'amuse beaucoup de la célérité vertigineuse de la serveuse qui remplit à la spatule les petits gobelets en carton. J'ai pris straciatella/fior di latte, il a choisi marron glacé/fior di latte.
Ainsi, le premier soir à Venise, dix ans après, nous nous retrouvons en pleine nuit à comparer les parfums de nos crèmes glacées que nous dégustons les mains gantées.

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13 Comments:

Anonymous Marie said...

Ah, merci, Patoumi, vraiment, merci, que c'est bon de commencer un vendredi de statistiques avec Venise, Vincent Delerm, le sommeil dans l'avion, les messages à ne pas emmêler... Merci.

31 janvier 2014 à 06:37  
Anonymous Damien said...

Je ne suis jamais allé à Venise pour ma part, mais cela fait partie de mes destinations rêvées, en compagnie de ma douce et tendre. L'aspect touristique m'effraie un peu (ainsi que les prix qui l'accompagnent), mais ma fascination reste intacte.

C'est toujours un plaisir de revenir te lire. Vivement le prochain billet ! Mais prends ton temps, c'est encore meilleur en attendant :)

31 janvier 2014 à 13:22  
Anonymous Chrystel said...

Tes textes m'ont manqués. Je les apprécie peut-être d'autant mieux! Chouette chouette, j'attends la suite... Bises

31 janvier 2014 à 15:33  
Blogger Julie said...

je viens d'aller voir vincent à villefranche
émouvante et maladroite première
châtenay-malabry en clôture juste parfait

1 février 2014 à 00:53  
Anonymous sylvie said...

Mais c'est qui, ce V.D. ? Parce que là, c'est du A.S., que j'aime, que j'adore. Sinon, le reste, j'aime bien :-). Moi aussi, j'aurais pris fior di latte, avec Gianduja. Y avait Gianduja ? Quelques gouttes de pluie toulousaine vers toi, Patoumi et vers W. (que j'aime autant que AS)

1 février 2014 à 12:59  
Blogger patoumi said...

Marie: c'est moi qui dis merci! Sinon, je traîne un peu sur les sites de jolies laines mais je ne me sens pas du tout à la hauteur de la chose!

Damien: le truc un peu dur avec les touristes, c'est toutes ces boutiques affreuses de masques et de dentelles et les restaurants qui affichent "tourist menu available"... Le fait de louer un appartement permet d'éviter les hôtels sur le même mode et surtout, permet de cuisiner! (parce que les petites épiceries de quartier sont particulièrement alléchantes!) Le petit plaisir mesquin que je m'accorde est d'écouter les conversations de touristes français sans avoir l'air de les comprendre...

Chrystel: c'est gentil! Merci!

Julie: super, one fan-reporter! Merci pour ce petit mot! J'ai pris des places pour la dernière à Paris en mars!

Sylvie: rhooooo, c'est l'ultime déclaration d'amour à G/W.! Il a rougi ^^
Sinon tu n'as pas vu, j'ai mis entre parenthèse une chanson de VD qui est de lui cette fois-ci. En fait, il a repris la chanson de AS (ça rend moins bien, j'avoue)
Il y avait bien gianduja! En fait j'ai beaucoup hésité avec gianduja justement ainsi que chocolat et clémentine. Bisous!

2 février 2014 à 01:09  
Anonymous M said...

Rien a voir avec le voyage, mais quel film as-tu dans ton pentax, car les couleurs sont époustouflants?

4 février 2014 à 20:49  
Blogger Tin of tea said...

Oh que j'aime votre Venise!

5 février 2014 à 21:24  
Blogger le point et la ligne said...

Il y a une Rennaise qui a sa marque de très jolie laine made in france, et de très jolis patrons aussi: dererumnatura.
Un bon moyen de se lancer.

12 février 2014 à 10:31  
Blogger patoumi said...

M.: ce sont des Kodak Portra 400

Tin of tea: il me rest encore tant et tant à raconter!

Le point et la ligne: au cabinet, l'une de mes petites patientes est très fière de sa première écharpe tricotée par elle-même. Je lui demande si c'est compliqué, comment il faut faire. Elle m'explique puis me regarde et dit "Je pense que tu serais capable de le faire aussi!"
Ah!

15 février 2014 à 00:20  
Anonymous Anonyme said...

2 mots: merci ... encore!

merci pour ce petit voyage immobile
merci pour cet instant suspendu à ta jolie plume
merci pour la curiosité de se demander quels sont ces ouvrages cités
merci pour la rêverie
merci car je rêve d'Italie, de Venise depuis si longtemps et un voyage en amoureux n'est pas au programme avant... des années? (joie d'avoir des enfants, et mélancolie de ne plus avoir de perspectives en tête à tête faute de parents disponibles à les garder)
donc ...
encore!!!
parles moi des rues, des placettes, des ciels gris et des statues
bien à toi
atlante

19 février 2014 à 18:10  
Blogger Camille said...

Je suis allée à Venise quand j'étais petite (j'avais de la famille pas loin de là) et ce qui est un peu dommage, c'est que je ne l'ai probablement pas appréciée à sa juste valeur. Maintenant je me dis que j'aimerais y retourner mais c'est trop loin, trop cher. Merci de me faire voyager par procuration.

21 février 2014 à 03:51  
Anonymous Eloustic said...

Il y a longtemps j'ai lu Seule Venise de Claudie Gallay. J'avais un bon a priori parce que j'ai toujours un bon a priori chez Acte Sud.
J'y ai repensé récemment et j'ai eu envie d'y aller pour l'hiver. Une amie comptait s'y installer et je me disais que ce serait l'occasion en lui rendant visite. Finalement l'amie part en Irlande et j'ai troqué Venise pour Dublin dans mes prévisions. Mais avec cet article c'est terrible, j'ai envie de faire plusieurs voyages!
Merci pour ce joli portrait de ville :)

7 juillet 2014 à 01:29  

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