vendredi 30 août 2013

Si ce jour-là tu as de la peine (récit d'un été)

//à la maison expérimentale//

L'été a commencé le 11 juillet quand j'ai pris un train, toute seule, tôt le matin.
J'ai croqué dans un Reubens sandwich en sirotant un jus de poire sans baisser les yeux face aux regards compatissants de mes voisins qui plaignaient ma solitude.
J'ai marché longtemps dans des rues que je connaissais parfois par coeur, parfois très mal, mais sans jamais me perdre.
Au Téléscope, j'ai bu un thé glacé et du lait frais en écrivant un mini-roman destiné à G.
J'emmenais partout avec moi Un barrage contre le Pacifique, lu il y a longtemps et mystérieusement oublié, exactement comme j'oublie systématiquement tout ce qui a trait au Cambodge, à mon histoire familiale. Tristesse et fascination en lisant Duras évoquer des terres familières et pourtant inconnues.
A Rose Bakery le matin il n'y a personne, sauf un garçon qui croyait que les oeufs Benedict étaient à la mayonnaise. J'ai pris un marbré au chocolat et j'avais oublié qu'il était aussi délicieux.
J'ai retrouvé C. à la terrasse du Bal Café, il y a eu une seconde d'hésitation quand nos regards se sont croisés mais la conversation démarra avec la limpidité que seule permet une connivence patiemment établie. Le crumble abricot-framboise entre deux fut fameux et, rejointes pas une jeune fille qui lisait Leonor Baldaque, nous avons parlé de nos amoureux, de Mia Hansen-Love, des tee-shirts Thomsen et des honorables-formidables. La séparation, place de Clichy, prit un certain temps.
De retour dans l'appartement silencieux, j'ai lu à voix haute et pour moi seule Alice in Wonderland.
J'ai préparé un clafoutis aux cerises en attendant G.
Tard dans la nuit, sur le quai de gare tout gris, il m'a serrée fort. J'étais à la fois très heureuse et très triste mais je n'ai rien dit. Il m'a pris la main.
Je l'ai souvent et doucement observé, pour voir s'il avait changé, ou pas.
Il a trouvé que les sandales scandinaves, en cuir gris et talons bois, étaient vraiment jolies.
Le 20 juillet, le dîner japonais était gracieux mais pas autant que la fantaisie de grignoter une crêpe au chocolat grand-mère face au port, sur lequel la nuit était déjà tombée, à l'heure à laquelle nous aurions dû rentrer.
Nous avons rejoint S+F dans la maison de location au pignon rose sur la route de la plage. Deux jours c'est si court, je le sens bien avant l'heure du départ et pour un milliard de raisons, la tristesse me rattrape, mon regard se brouille au-dessus du délicieux gâteau au fromage blanc.
Puis un jour nous avons fait nos valises et nous avons pris un avion pour Helsinki.
La vie fut douce, je respirais mieux.
Dans l'appartement de Punavuori, nous avons improvisé des petits dîners sur la jolie table patinée de la cuisine sur cour. Nous avons beaucoup fréquenté les halles couvertes où la brioche à la cardamome était savamment moelleuse, ainsi que le marché aux puces d'où je faillit repartir avec une machine à écrire mais dont nous sommes raisonnablement repartis avec des petits verres anciens emballés dans du papier journal.
Nous avons arpenté la ville en tout sens, traversant les parcs et les églises, longeant les quais et les places, explorant les musées d'art contemporain et les galeries plus discrètes, examinant les rayons des supermarchés, flânant sans but en admirant les façades couleur vanille, fraise, abricot ou pistache.
Un après-midi, surpris par un orage, nous sommes entrés en trombe dans une minuscule épicerie italienne où deux fauteuils nous attendaient autour d'une table basse. Nous avons grignoté des sandwiches légumes et mozzarella et avons discuté de le meilleure façon de faire du café. Une fille en robe imprimée et petit blouson est entrée, elle a demandé une glace au chocolat et G. a immédiatement décrété qu'il était indispensable que nous goûtions cette glace qui paraissait tellement onctueuse. J'allai nous en chercher un petit pot, il n'y avait que quatre parfums, ce qui était très bon signe. La texture de cette simple glace au chocolat fut renversante, son goût d'une intensité rare. Il m'a promis qu'on reviendrait.
Nous avons pris un tram qui passait juste devant cette épicerie italienne et qui s'arrêtait à quelques mètres de la maison d'Alvar Aalto, sur les hauteurs d'Helsinki. C'est une façade discrète, au pied d'immeubles anonymes, à côté d'une bibliothèque de quartier. Je n'arrive pas à oublier la phrase pourtant anodine prononcée lors de la visite guidée par l'étudiant en acoustique qui la réalisait "De leurs nombreux voyages, Alvar Aalto et sa femme ne rapportaient pas que des souvenirs, mais aussi des idées"
Quant à nous, à bord d'une Seat Ibiza grise de location, nous avons bientôt quitté Helsinki, et ce fut le début d'un inoubliable road trip.
Les lacs dessinaient partout des surfaces claires et moirées, les forêts majestueuses et presque immobiles dissimulaient les maisons à pans de bois, les nuages développaient des expansions inédites, le soleil se couchait très tard en s'embrasant sans fin.
Nous avons visité des maisons anciennes, des jardins de monastère, des musées d'art moderne déserts, des marchés, des ateliers, des antiquaires de bord de route.
Nous avons fait du canoë.
Nous avons cru voir un ours, nous avons caressé des nénuphars.
Nous avons cueilli des groseilles, du cassis, des petites pommes qui n'étaient pas encore tout à fait mûres.
Nous avons marqué un temps d'arrêt significatif face à la jeune fille rousse d'Helene Schjerfbeck sur un tableau qui s'appelle The tree of life, exposé au Musée des Beaux Arts de Joensuu, une petite ville qui s'aborde avec patience. Ce soir-là, nous avons dîné dans un restaurant indien délicieux où se retrouvait toute la communauté pakistanaise locale.
Nous avons goûté au Runberg cake, si joli avec sa goutte de confiture de framboise à son sommet, nous avons aussi mangé du gâteau à la crème aigre avec du coulis de fraise, des crêpes russes épaisses et réconfortantes, des tartelettes au riz, de la friture de fera, de la soupe au saumon et à la crème, des tartines de pain de seigle avec du beurre parfumé à l'aneth, du gâteau aux pommes, des biscuits fourrés à la crème, des beignets encore tièdes, et dans la salle déserte de la chambre d'hôtes où nous sommes arrivés tard, au bord d'un lac et au milieu des bois, on nous apporta une salade de pommes de terre relevée d'oignons rouges, de câpres, de moutarde à l'ancienne. Le poisson délicatement pané qui l'accompagnait s'alanguissait sous la noisette de beurre d'herbes.
Nous avons fait un pèlerinage Alvar Aalto (AA) avec une fébrilité et une curiosité presque enfantines. Nous avons rejoint un groupe de Japonais chapeautés et nous avons emprunté le chemin qui serpentait entre les arbres, au bord de l'eau, pour rejoindre la maison expérimentale, construite sur une île, et je m'étonnai du confort spartiate que s'accordait AA durant ses étés passés là. Nous avons retrouvé ces mêmes Japonais devant la bibliothèque AA et l'hôtel de ville AA de Säynätsalo; quant au musée AA, où nous les avons perdus de vue, il abrite un charmant café que nous avons été heureux de trouver et qui servait des penne aux légumes fumants et parfumés (sous des suspensions AA, évidemment).
La prolixité d'AA et ses lignes pures sont admirables à Seinajoki, la ville où se dressent avec majesté son incroyable église filiforme, son université et son théâtre dont les courbes supérieures dessinaient un piano et qu'une dame charmante a bien aimé nous faire visiter sur la pointe des pieds.
Nous avons essayé de photographier la Villa Mairea, conçue par AA et sa première épouse pour leur amie Maire Gullichsen, une jeune femme de goût et de caprices. Tout y est paisible et harmonieux: le bureau du rez-de-chaussée blindé de bibliothèques basses pleines à craquer, le piano et son couvercle en plexi bombé (pour que personne ne pose jamais rien dessus, ah!), la véranda, sa végétation luxuriante et ses fauteuils en osier, le jardin dont la piscine épouse les courbes de la forêt alentour.
Nous ne sommes pas repartis du pays sans passer par une boutique Artek.
Nous avons faillit prendre un bateau mais on nous annonça qu'il était en panne, alors, face au lac Pielinen, sur un banc ensoleillé, nous avons déballé le mini pique-nique acheté à la sauvette à la boulangerie du village qui servait aussi aux habitués une soupe épaisse et aromatique. Le petit feuilleté à la saucisse, croqué dans un sourire, s'avéra fameux.
Dans la voiture, où je faisais des lectures d'intérêt inégal, il aimait bien avoir à portée de main des petits bonbons à la réglisse.
Nous avons roulé sous le tonnerre, sous le ciel couleur de cerne ou de cendre, sous la pluie tonitruante, sur des pistes de terre isolées, entre des champs labourés, nous avons bientôt rejoint la côte est.
Ce fut le temps des festival de musique classique et contemporaine, des galeries et des musées, des latte et des burgers en terrasse, des petits-déjeuners dans le désordre, des dîners de desserts, des boutiques, des librairies, des promenades infinies le long de l'eau, des après-midis entiers passés dans les jolis cafés à lire, écrire, et dévorer des tartes vanille-rhubarbe. Ce fut le temps de la nonchalance assumée. Ce fut le temps des surprises aussi, comme celle de traverser un parc d'attraction pour arriver dans un lieu d'exposition où je suis saisie devant L'été de Paul Delvaux et une immense silhouette de Giacometti.
Puis il y eut encore la maison de Saarinen et les photographies en noir et blanc (la famille au complet sur les pistes de ski, la petite fille avec le turban dans les cheveux... ) et l'incroyable centre d'art contemporain d'Espoo, complètement absorbant et vertigineux.
De retour à Helsinki, en nous perdant avec plaisir et vertige dans les rues de Punavuori, en repensant en silence à ces trois semaines écoulées, en me souvenant encore de la dernière séance chez l'analyste le 10 juillet et le flot irrépressible de larmes qui me coupait la parole, en sentant sa main dans mes cheveux, j'ai su que nous n'avions pas changé, toujours à guetter les étés rayonnants, l'inspiration, les belles et bonnes choses, toujours à accorder nos vies secrètes.
Evidemment, nous sommes retournés manger une glace au chocolat, comme promis.

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dimanche 18 août 2013

This is all about Berlin (un feuilleton estival) (4)

//à Kreuzberg, une tentation matinale//

Parfois il n'y personne, d'autres fois une file d'attente impatiente et enthousiaste s'allonge sur le trottoir sans logique apparente. Il est question de faire ça vite, sans trop réfléchir, et en même temps que ce soit réussi, qu'il y ait un effet produit. Ce mélange d'excitation et de concentration provoque une certaine hâte joyeuse dont résulte quelque chose qui cloche à peu près à chaque fois.

Derrière le petit rideau plissé, on découvre le sale état de la cabine, son exiguïté. L'empressement devient mystérieusement grandissant et l'absurdité de la situation empêche toute tentative sérieuse de conceptualisation. La gravité sied mal à la photographie automatique.
Une fois la pièce de monnaie avalée par la machine, les choses se compliquent, au rythme des éclairs lumineux décisifs: l'attente entre deux photos parait toujours plus longue ou plus courte que celle imaginée, l'un ne sait plus quelle mine il doit adopter, l'autre s'en amuse, le cliché est pris dans un éclat de rire généralisé, rien ne se passe jamais comme prévu. Puis il y a quatre minutes pour s'en remettre tandis qu'à côté de la cabine, le jeune homme à cheveux longs continue de faire griller les saucisses à hot-dogs sur un bord de trottoir, impassible.
Bientôt le rectangle en noir et blanc tombe dans le réceptacle prévu à cet effet avec un petit bruit mat, les photos ne sont pas encore tout à fait sèches. Contemplation amusée et consternée à la fois. Une seule envie: revenir demain au Photoautomat.

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