dimanche 23 juin 2013

Dans la cité qui n'en finit pas (au Mary Celeste)


Il portait son pull col V bleu marine un peu étroit, fin et doux, j'avais mis des collants sous la robe Bubblegum, nous avons marché le long du canal et nous sommes arrivés échevelés, impatients et pourtant à peine affamés, au Mary Celeste.
Là, dans une ambiance joyeuse et bavarde, des filles coiffées comme un dimanche et des garçons en chaussures à lacets délacées trompaient leur spleen dominical le long du comptoir circulaire. Ils commandaient des cocktails aux noms romantiques et hermétiques (Dear Apollonia, Judy Blue Eyes…), doux breuvages aux couleurs opaques aussi mystérieux que la disparition de l'équipage tout entier du Mary Celeste le 5 décembre 1872.
Difficile de dire si c'est le joli accent de la serveuse, le regard malicieux du serveur, les murs en tommettes repeintes, le graphisme de la carte ou la lecture du menu manuscrit plein de promesses, mais à peine installés à l'une des petites tables en bois, nous avons tout de suite eu très faim et très soif.
La nourriture, en petites portions à partager, arrive sur des assiettes en émail blanc ou dans des coupelles qu'on subtiliserait bien pour servir des boules de sorbet, l'été. C'est à la fois très simple et singulièrement sophistiqué: oeuf à la diable dont la mayonnaise veloutée percute le gingembre fraîchement râpé, la ciboule ciselée, le riz grillé et les échalotes frites, petites crêpes souples garnies de cochon confit, épicé et un peu sucré qui rivalisent avec les inoubliables pork buns de Momofuku, lobster roll audacieux qui tente l'agrément du comté fondu. C'est à ce moment, et sous l'effet des breuvages tranquillement étourdissants naïvement sirotés, que je glisse un petit mot gentil à nos voisins de table qui commandent la même chose que nous et me regardent avec insistance depuis qu'ils se sont installés. Alors, la jeune femme aux cheveux longs me demande si je n'étais pas à Bones, la veille au dîner. Il se trouve que non. Ah, dit-elle en fronçant gentiment les sourcils, je suis pourtant persuadée de vous avoir vue quelque part.

Naturellement enthousiastes ou portés par l'euphorie du lieu, ils engagèrent avec nous une conversation volubile où nous apprîmes qu'ils venaient de Washington DC, qu'ils étaient en voyage de noces, revenaient de la Côte Amalfitaine, avaient apprécié quelques match à Roland Garros. Le volume sonore de la discussion augmenta de façon imperceptible quand il nous dit que sa soeur avait vécu à Rennes, avec un mari particulièrement francophile qui ne s'en remettait pas d'être rentré aux Etats-Unis. Nous parlâmes de fromages français. Il commanda pour G. qui l'avait interrogé à ce sujet un Oliver's Twist. J'y trempai mes lèvres, cela avait goût d'abricot et de poivre noir. Il nous montra sur son téléphone des photos d'une exposition qu'ils avaient vue, le matin même. G. reconnut immédiatement les images du Bal où nous avions passé du temps en ce dimanche matin. Un éclair passa dans le regard de la jeune femme Je sais où je vous ai vue! Vous étiez au Bal café, assise près du mur, je me rappelle très bien! Oui, j'étais assise près du mur, je tartinais leurs délicieux scones tièdes et dévorais gaiement un english breakfast réjouissant. Au milieu de cette coïncidence gourmande, le serveur apporta du poulpe à la plancha super épicé avec une tombée de blettes. Mais comment dit-on blettes déjà en anglais? Nos autres voisines, deux canadiennes qui goûtaient chacun des plats avec concentration, se mêlèrent à la conversation. Le serveur qui passait par là me lança un regard étonné et amusé. De part et d'autre de notre table, nos quatre voisins échangeaient leurs bonnes adresses et nous demandaient notre avis: Nous avons réservé à La tête dans les olives, est-ce que c'est bien? Pendant ce temps-là avec G., on avait commandé de la mousse de yaourt servie avec une compotée de fraises-rhubarbe pour apaiser nos palais échauffés par le spicy poulpe. Puis les Canadiennes, qui avaient parcouru le planisphère et ses meilleurs restaurants et dont l'une d'elles étaient la mère d'une présentatrice d'émission télévisée culinaire, dirent qu'elles adoraient la Régalade, la jeune femme washingtonienne confirma cet enthousiasme et tout le monde se tourna vers nous, je dis Oui oui, c'est l'un de mes préférés, nous y avons d'ailleurs dîné vendredi soir. Alors les deux canadiennes poussèrent des petits cris, parce qu'elles y étaient aussi à ce moment-là. Ce fut dans cette animation exaltée que nous avons rassemblé nos affaires car nous avions un train dans une demi-heure, mais heureusement, un taxi est passé par là au bon moment et nous avons filé dans les rues mouillées, le chauffeur écoutait de la variété française datée.

Le Mary Celeste 1 rue Commines 75003 Paris
L'interview de Haan Palcu-Chang, le chef du Mary Celeste, avec toutes ses adresses secrètes et sa conception des choses "délicieuses" est à lire ICI

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5 Comments:

Anonymous Gwendoline said...

Quelle star, cette Patoumi !!!

23 juin 2013 à 19:39  
Anonymous v said...

Un petit mot ici (aussi) pour te remercier de me faire connaître ce restaurant dont j'ignorais l'existence . J'espère le découvrir un jour , tout comme l'installation que tu évoques dans ton billet précédent et qui semble fascinante. Bonnes vacances Patoumi !

24 juin 2013 à 07:56  
Anonymous Chrystel said...

Il me donne bien envie ce resto (en plus pas loin de chez moi ;-))). Je ne connaissais pas, merci! contente de te lire .

24 juin 2013 à 12:10  
Anonymous confetti said...

J'imagine ta tête quand tout le monde s'est tourné vers vous pour une approbation de La Régalade, quelle rigolade ! Et d'ailleurs, régalade, rigolade, on ne sait plus très bien ce qu'il s'est passé ce jour-là au Mary Celeste... Ça semblait délicieux en tous cas. L'effet de la robe bubblegum sans aucun doute (je me demande tellement à quoi elle ressemble).
Ai parlé de toi ces jours-ci, by mail, avec quelqu'un que j'aime énormément. Ah, les liens croisés de la toile..

24 juin 2013 à 23:47  
Blogger patoumi said...

Gwendoline: non, pas du tout. (sauf si la fille avait dit "Oh, mais c'est Patoumi!")

V. : je suis désolée de n'avoir pas encore répondu! Je passe beaucoup de temps au travail, chez mes parents, et il y a aussi le reste de la vie, je cours après le temps. Mille pardons.
(mais les vacances, c'est pas pour tout de suite!)

Chrystel: si j'habitais à côté du Mary Celeste... non, je n'ose pas imaginer :)

P.: c'est une robe toute simple (bubblegum, c'est le nom du modèle), à motifs rouges et bleus... Est-ce que je connais cette personne aimée? Le suspense est insoutenable!

28 juin 2013 à 00:23  

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