mardi 27 décembre 2011

Les parties de Memory (les petites crèmes au chocolat de Léna)

Il déteste gentiment ce vieux manteau, je l'aime encore assez pour le porter, je l'avais acheté avec l'un de mes premiers salaires d'interne. Les mitaines avaient été choisies en son absence déplorée, s'il avait été là, j'aurais pris les bleu marine...

Un jour, Edu Simoes a décidé de photographier le contenu des gamelles de déjeuner des ouvriers d'un chantier de Sao Paulo. Il raconte que malgré leur fatigue et leur faim toutes deux fracassantes, aucun d'entre eux n'a refusé de montrer son repas préparé la veille par une femme bien intentionnée. Edu Simoes explique avec pudeur que la composition de ces boîtes rondes, rectangulaires ou carrées en disent long sur les disparités sociales des travailleurs appartenant pourtant au même chantier. Toutes les gamelles comportent des haricots ou du riz, celles des plus heureux révèlent aussi quelques ailes de poulet ou des tranches de lard, voire un peu de boeuf haché, mais parfois, il n'y a qu'un oeuf frit et surtout, les quantités me paraissent dérisoires comparées à la force physique probablement requise par ceux à qui elles sont destinées.
Cette série de photographies d'Edu Simoes est à contempler au sous-sol de la MEP, très peu fréquentée le dimanche en fin d'après-midi. Un bon moment aussi pour se sentir minuscule devant un cliché de Martine Franck où l'on voit Vieira da Silva et Arpad Szenes, très âgés, se regarder l'oeil pétillant d'amour et d'histoires communes.

Ce dimanche-là, nous avions déjeuné chez Bob de pancakes géants à la banane et aux myrtilles et d'un petit crumble au milieu de jeunes filles à pulls mous aux couleurs subtiles (moutarde tendre, vert mousse, bleu glacier).
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Par anticipation d'un voyage à venir, il voulait traîner passage Brady à la recherche de stickers particuliers. Autrefois, près de là, j'avais reconnu les fenêtres de l'appartement de Louis Garrel et Ludivine Sagnier dans Les chansons d'amour. Cette fois-ci, près d'ici, après être repartis de L'ouvre-boîte avec des bandes dessinées sous le bras, il fut décidé d'un commun accord qu'un déjeuner à Nanashi s'imposait. Dans la salle déserte, sous les lampes tricotées, aux côtés de céramiques années 50 et de cageots débordant d'oranges et de citrons, la serveuse portait un gros pull à torsades sous son tablier bleu. Tout était délicieux et délicat, très frais et parfumé. Le riz sauvage était imbibé du jus des boulettes, les allumettes de radis noir réveillaient le saumon cru. Les fruits rôtis étaient parfaits, alanguis sous la petite cuillère de crème fouettée. La serveuse a proposé en souriant un peu d'eau chaude supplémentaire pour le thé.
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Avant Diane Arbus au musée du Jeu de Paume, un petit-déjeuner tardif fut savouré dans la quiétude du canapé jaune miel de Claus dont Estérelle m'avait vraiment fait envie. Bon, le chocolat était assez quelconque mais qui saurait résister à ces petites cocottes en feutre qui cachent l'oeuf à la coque? Le yaourt maison framboise-sureau était aussi délicieux et ma voisine a osé demander quelles épices rendaient le velouté de petits pois si addictif (je n'ai pas entendu la réponse mais il était vraiment bon avec ses deux petits toasts -foie gras et saumon fumé). Surtout, le lieu est joli et calme et j'aime l'idée qu'on puisse petit-déjeuner à n'importe quelle heure de la journée.
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Sur les bords du canal, il s'agissait de se réchauffer au Sésame malgré l'expérience peu encourageante d'une amie, néanmoins racontée avec beaucoup d'humour au téléphone. Une jeune femme très blonde, nuée d'oiseaux sur son corsage rose pâle, rejoint son amoureux en parka, une adolescente se réjouit de découvrir des myrtilles dans son muffin qu'elle veut absolument faire goûter à son père un peu maladroit. Le bouquet d'anémones rose et violet posé sur le comptoir attend d'être développé. Le sourire de la serveuse est désarmant et je dévore tout ce qui compose le Droopy breakfast: le jus carotte-pomme-gingembre, le chocolat chaud, les tartines à la confiture d'abricot, le petit oeuf à la coque, en écoutant les histoires de G.
Tout près, juste après, nous passons un long moment à la librairie Artazart. J'y ai toujours un peu le vertige devant les livres de photos archi tentants (premier livre de Martin Parr, polaroïds berlinois, Depardon seul à Manhattan). J'y ai surpris G. glisser un paquet dans son sac...
Plus tard, sur les conseils de M. que j'ai été ravie de revoir dans un bel endroit, nous avons adoré à la Maison Rouge la collection Olbricht joliment intitulée Mémoires du futur. Vous verrez, entre autre, tout le long du couloir au début de l'exposition, le visage changeant des quatre soeurs Brown photographiées ensemble pendant trente-six ans à Cincinnatti. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux soeurs Lisbon de Virgin Suicides qui n'ont pas eu le temps de voir leurs cheveux blanchir, les veines de leurs mains devenir plus apparentes, leur sourire se rider. Expérience étrange.
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Lui, dans son manteau anglais, moi dans ma veste en tweed trop grande, nous avons remonté à toute berzingue le Faubourg Saint Denis glacé pour aller voir Memory, une autre expérience des années perdues qui vous flouent.
Dans son nouveau spectacle, Vincent Delerm incarne le rôle de Simon, un garçon qui autrefois fut amoureux de Sandrine, une fille assez déroutante, particulièrement lors d'une fête foraine. Un garçon surtout qui ne peut pas écouter Avec le temps autrement qu'en italien sur une vieille cassette parce qu'il faut bien avouer que c'est assez insupportable d'angoisse d'entendre Et l'on se sent glacé dans un lit de hasard...Simon retient ce qui est pourtant si facilement dévolu à l'oubli nécessaire de la vie qui avance et en cela, je m'en sens assez proche. Alors qu'il évoquait déjà dans ses chansons le souvenir futile mais farouchement aggripé à une mémoire solide des moments dont certains ne comprennent régulièrement pas la nécessité personnelle (révisions du bac avec une fille au mois de juin, interclasses de volley, voyage scolaire à Sestrières, feu d'artifice sur un talus à Biarritz, vos yeux dans l'autocar, tout ce qui ne reviendra jamais), le spectacle leur laisse cette fois toute la place. Cela m'a ravie puisqu'on m'a souvent reproché de me souvenir de ce qui ne sert à rien alors qu'ici, il devient prétexte à tout.
J'ai bien aimé aussi la convocation incessante de ceux qui ont toujours habité son univers amer et doux à la fois: Woody Allen se lance dans un monologue introductif où il est question de l'âge auquel George Harrison a quitté les Beatles, Barbara et Souchon passent à la radio, Antoine Doinel va au cinéma pendant une semaine et se dit tristement que fréquenter enfin cette fille si belle, ce n'est peut-être pas aussi bien que juste convoiter cette fille si belle. Et aussi qu'il est tellement étrange d'être obsédé par quelque chose à 11 heures du matin qui n'a plus vraiment d'importance à 18 heures le même jour.
C'est dans ce décalage névrotique qu'infiltre le ravissement de la soirée, renforcé par le jeu extrêmement varié auquel se livre Delerm: il danse (revanche sur les boums immobiles), fait de la bicyclette, jongle, et manie même la raquette face à un adversaire qui n'est finalement que lui-même ou bien les fantômes des grands joueurs des années 80-90 dont il évoque les noms avec tendresse et ironie.
Ainsi, le spectacle distille aussi une légère tristesse, une vague appréhension un peu angoissante. Cela se ressent très fort dès le premier quart d'heure quand sont projetés des films de famille, récupérés par Delerm dans des vide-greniers et mis en perspective avec des images de cimetière et une chanson où le refrain répète Nous sommes vivants...Que sont devenus ces couples qui dansaient dans un salon au papier peint fleuri en attendant le gâteau d'anniversaire de quelqu'un probablement mort désormais? Qu'est devenue cette jeune fille filmée au mois d'août en fin d'après-midi? Ma gorge se serre. Elle se serre encore plus devant ce que je vois comme la mise en scène de sa disparition à lui, le visage grimé et tout blanc, s'évanouissant.
Tout cela se bousculait sous ma veste en tweed et j'étais incapable d'attendre de le voir après le spectacle.
Plus tard, je découvrais que j'aimais la glace au café, le goût de l'amer sans doute.
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Pour le retour en train, nous avions tout prévu. Petites verrines du Pain Sucre, à déguster avec des petites cuillères dorées puis une de leurs belles tourtes, à la farine de sarrasin, à réchauffer à la maison dès l'arrivée. Pour patienter, la lecture enthousiasmante de Whiskey & New York, la bande dessinée autobiographique de Julia Wertz qui décide à vingt-cinq ans de quitter San Francisco, sa vue sur la baie, ses appartements victoriens, ses hipsters cool (c'est elle qui le dit) et sa nourriture mexicaine parfaite pour aller s'installer dans divers appartements pas toujours très avenants de Brooklyn. Julia est l'incarnation d'une lose assumée, traînant ses cheveux sales et plats et son sac déchiré aux rendez-vous professionnels, se faisant renvoyer de plusieurs petits boulots, passant parfois sa journée dans des cinémas de Manhattan à s'alcooliser. Evitant soigneusement les fruits et légumes frais, elle préfère plutôt les bagels, les pizzas et surtout les bloody Mary. Julia ne mâche pas ses mots et son autodérision parfois pathétique la rend super attachante. Mon seul petit regret et de ne pas l'avoir lu en anglais!
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La veille du départ, je me souviens, il avait plu toute la journée. Avec Léna, nous nous sommes retrouvées dans un salon de thé assez nul où il n'y avait plus rien à manger (enfin, on n'avait pas très envie d'une hérétique tarte à la courgette de décembre et encore moins de la salade de pommes de terre froide aux lardons) sauf cette tarte au citron qui nous faisait un peu envie mais dont la pâte ne pouvait dissimuler sa terrible origine purement industrielle. En plus, le thé était mal infusé! Mais nous étions de bonne humeur et notre conversation se suffisait à elle-même pour nous animer (j'ai quand même pris la précaution de prévenir G. qu'il n'était pas nécessaire qu'il affronte la pluie pour nous rejoindre vu le contenu de l'assiette).
Plus tard dans la soirée, comme G. et Léna avaient réclamé en choeur du boeuf aux oignons (je ne sais plus vraiment comment nous en étions arrivés là) et qu'ils avaient fini par m'en donner envie, j'ai suggéré une boeuf aux oignons party. Bon, il était déjà assez tard et le frigo était plutôt vide puisque nous partions le lendemain alors je ne remercierais pas assez le petit traiteur grec chez qui nous avons choisi des tiropita et des beignets de légumes parfaits pour apaiser l'impatience de trois personnes qui n'avaient pas mangé grand chose de la journée. Le boucher avait gentiment détaillé de la poire (de boeuf donc) en lamelles, nous avions quelques oignons roses.
J'ai apporté les assiettes brûlantes avec une petite appréhension, j'avais à faire à de fins amateurs de boeuf aux oignons! J'ai guetté leur sourire, j'ai eu l'impression que ça leur plaisait bien, chic.
Pour le dessert autour de la table basse chinée, pas le temps ni vraiment l'envie ce soir-là de servir autre chose que les petites crèmes de Pascal Beillevaire, et aussi son riz au lait au caramel beurre salé. Personne n'était très fan du riz au lait mais avec le caramel, hmmmm, on va dire qu'il a été envisagé autrement... Quand elle a goûté la crème au chocolat, Léna a tout de suite fait le rapprochement avec celle qu'elle prépare quand son amoureux est tenté par celle de la malhonnête laitière. J'aime tellement ça que je lui ai fait promettre de me donner la recette... (que je recopie)


Les petites crèmes au chocolat de LénaPour 6 à 8 ramequins:

150 g de chocolat noir ; 50 cl lait entier ; 4 jaunes d'œuf + 1 œuf ; 80 g sucre

Faire fondre le chocolat avec un peu d'eau. Une fois fondu, ajouter le lait entier, remuer quelques minutes à feu doux, jusqu'à obtention d'un lait chocolaté.
Dans un saladier, battre les jaunes d'œuf avec l'œuf, ajouter le sucre, bien fouetter. Verser le lait chocolaté dans le saladier, mélanger.

Faire cuire 30 minutes au four préchauffé à 150°c, au bain-marie.

A priori, le point crucial est la cuisson. Privilégier les petits contenants parce qu'elle sera plus homogène et les crèmes seront bien soyeuses. Léna utilise des toutes petites tasses comme ça:


Elles sont vraiment délicieuses, à savourer debout dans la cuisine, mais aussi avec une gavotte et des quartiers de clémentine acidulée.

Bob's kitchen 74 rue des Gravilliers
L'ouvre-boîte a ouvert il y a quelques mois au 20 rue des petites écuries, à soutenir parce que c'est courageux d'ouvrir une librairie! Le libraire est charmant et la sélection très alléchante.
Nanashi 31 rue de Paradis
Claus 14 rue Jean-Jacques Rousseau
Sésame 51 quai de Valmy
Artazart 83 quai de Valmy

A bientôt!

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lundi 12 décembre 2011

J'ai pensé que peut-être ça te plairait

(C'était un dimanche entièrement consacré à finir un roman* et à préparer des petits biscuits** avec toutes les lampes allumées dès cinq heures et dehors, les guirlandes lumineuses de fenêtre en fenêtre)

Quelques idées improvisées de petits cadeaux
Obsessive consumption de Kate Bingaman-Burt
Sorti il y a longtemps, dévolu à une lecture itérative, suivez jour après jour les achats de Kate en couleurs primaires. Treize lampions en papier, une paire de chaussures de mariage couleur jaune et violet, des tulipes pour mamie, du poulet frit, trois fouets à pâtisserie ou les falafels du vendredi, Kate dessine tout ce qu'elle achète et c'est chouette.

Leçon de photographie de Stephen Shore
S. Shore photographie des pancakes à côté d'un verre de lait froid, des parkings de supermarché, des motels désaffectés du Texas, il explique dans ce livre les différents niveaux de la photographie (physique, représentatif, mental), montre un choix de photos assorties et dit ceci à propos du moment où il appuie sur le déclencheur C'est l'interaction complexe, continue et spontanée de l'observation, de la compréhension, de l'imagination et de l'intention.

Fat de Jennifer Mac Lagan
Un super livre assez fascinant sur le gras! Celui du beurre, du cochon, du boeuf, de l'agneau, des volailles. Ses origines, ses utilisations, des anecdotes historiques et des recettes: la poitrine de porc rôtie au miso et à l'orange que je vais bientôt essayer, le BLT parfait avec une mayonnaise secrète, un risotto à la moelle ou des saint-jacques pochées au beurre, que des plats subversifs!

Une adolescence dans l'après-Mai d'Olivier Assayas
Un texte court, dédié à Alice Debord et Mia Hansen-Love, écrit après des vacances indiennes passées avec elle (MHL), suite à un retour de plage à Goa et dont il dit ceci J'étais le spectateur intrigué d'une tranquillité inhabituelle qui se manifestait en moi. Et je me rappelle avoir pensé qu'elle ne pourrait être qu'infiniment fugitive. Ce livre raconte comment le très jeune Olivier Assayas est devenu cinéaste et je suis assez ravie de l'avoir cité dans ma thèse! C'est un beau cadeau, surtout s'il est accompagné de l'intégrale DVD...

La cuisinière du cuisinier d'Alain Ducasse et de Frédérick e. Grasser-Hermé
Elle ne le sait pas mais depuis longtemps Fegh m'émeut. Il y a ses monomanies chromatiques aux Editions de l'Epure et son dément gâteau au chocolat à la mayonnaise, il y a son érudition malicieuse et gourmande qui me parait infinie. Je l'imagine courir tout Paris pour dénicher LE jambon à l'os parfait. Son exigence est toujours un peu ironique, j'aime bien.
Nous avons cependant peu de points communs si ce n'est qu'il m'est apparu encore davantage en lisant ce livre (une mine, vraiment) que nous aimons pas mal de choses identiques: les burgers, les hot-dogs chics et les tuna sandwiches mais aussi les tomates farcies (qu'elle cuit dans le fournil chez Poilâne), la blanquette et les pâtes à la daube (à la queue de veau). Il y a aussi des recettes mystérieuses: l'oeuf au gras, le risotto aux salicornes d'Inaki Aizpitarte ou la cocotte du Club du gras (encore, désolée).

Recettes des trois soeurs pour jeunes fauchés gourmands d'Evelyne, Delphine et Annie Mach
Au début du livre, la photo des trois tabliers accrochés à la patère sur fond de mur rouge vif constitue une excellente introduction à l'univers des trois soeurs qui aiment manger sans que ce ne soit jamais trop compliqué! Je ne sais pas si ce sont nos origines asiatiques communes mais je me reconnais assez régulièrement dans leur propos (évidemment, la série d'Aki intitulée Mes parents les Yamada me parle particulièrement...)
A la maison, pas de burgers sans leur flash potatoes un peu épicées et j'ai déjà éprouvé leur soupe rustique des malades. En plus, elles donnent leur recette familiale de raviolis pékinois! Les dessins sont toujours aussi adorables...

D'autres listes de cadeaux, plus anciennes mais pourquoi pas, et aussi quelques idées snobs...

*Les revenants de Laura Kasischke chez Bourgois
**la nouveauté cette année, les sablés de Clotilde, une recette précieuse qu'elle tient de Christine, la maman de Laurence, l'une des plus anciennes amies de Clotilde.
Une recette très simple pour laquelle la qualité des ingrédients est primordiale et qui donne des biscuits délicats au parfum subtil et addictif!

Les sablés de Noël de Clotilde
-210g de farine
-140g de sucre blond de canne
-125g de beurre mou
-1 oeuf
-1/4cc de cannelle
-les graines d'une gousse de vanille fendue et grattée
-1/4 cc de sel fin

Mélanger la farine, le sucre, le sel, la cannelle et la vanille.
Ajouter l'oeuf, bien mélanger.
Incorporer le beurre coupé en petites parcelles progressivement jusqu'à obtenir une pâte bien homogène.
Diviser la pâte en deux, façonner un disque un peu épais, l'emballer dans du papier film et la laisser reposer au frais au moins 8 heures.
Au terme de ce repos, sur une surface bien farinée et avec un rouleau également fariné, étaler la pâte finement, sur 2 à 3mm d'épaisseur.
Découper les biscuits à l'aide d'emporte-pièces et les placer au fur et à mesure sur une plaque à four froide protégée de papier sulfurisé.
Faire cuire 12 à 15 minutes dans un four préchauffé à 160°.

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lundi 5 décembre 2011

Les choses après (KA on stage)

(Avant)
C'est E. qui a conseillé l'adresse alors que nous étions debout dans l'entrée d'Henry et Henriette, nous saluant avec la gêne de ceux qui ne savent pas très bien quand ils se reverront.
Après, avec G., serrés sous le parapluie à pois japonais, déjà la main redéplie le plan et nous avançons d'un pas pressé et trempé sous les guirlandes palpitantes au gré du vent. Nous avons trouvé l'escalier qu'il fallait descendre puis la grande avenue à traverser, nous avons pris la rue à gauche et nous sommes finalement arrivés sans encombre au Jéroboam. J'ai alors eu l'impression asssez immédiate d'être à New York, à cause du bois, des briques apparentes, du petit salon au bout du comptoir et de cette nonchalance gourmande et heureuse qu'affichait la plupart des gens. Nous avons expliqué au serveur qu'il s'agissait d'un avant-goût et que nous avions peu de temps devant nous car dans un peu plus d'heure allait commencer le concert de Keren Ann. Il a absolument compris l'enjeu du moment et a apporté avec une certaine malice deux verres de vin et trois tartines qui redonnent un sens à l'utilisation de ce terme dans le monde de la restauration (je dis ça parce que trop souvent, ces tartines servent de prétexte à servir en toute bonne conscience des tranches assez épaisses de pain pas toujours super frais recouvertes de trucs de qualité très médiocre régulièrement camouflés par du mauvais fromage fondu). Ici, au Jéroboam, il s'agit de petites tranches de pain plutôt fines et toastées recouvertes d'une généreuse poêlée de cèpes à la marjolaine ou de fromage frais aux herbes et d'écrevisses ou encore de pancetta et de purée de vitelotte gratinée au comté. J'avoue que c'est assez réjouissant comme nourriture pré-concert.

(Pendant)
Impatience à son comble au quatrième rang, G. et moi avons du mal à la tromper. Il fait chaud dans la salle, j'enlève mon cardigan et je bénis les manches courtes de la robe à pois.
Il y a un compte à rebours assez subtil puis la silhouette de KA se devine, ultra graphique et stylée (j'adore la veste courte, noire, et le fin bracelet autour du poignet).
Je suis complètement terrassée par l'émotion dès le tout début du concert. J'avais le souvenir d'une fille qui ne fait que penser aux rivières de janvier ou dont les amours périssables s'enterrent sous le sable mouvant, une fille qui le prévenait nul ne t'aimait comme moi jamais, une fille qui osait à peine lever les yeux vers son public, s'excusait presque d'être là, chantait avec discrétion comme si elle s'approchait sur la pointe des pieds des oreilles de son auditeur. J'avais le souvenir aussi de ses lalala légers et graves sur Tout doucement, le souvenir d'un texte qu'elle avait écrit pour les Inrocks où elle évoquait sa sidération au Guggenheim de Venise devant un Giacometti ou à la Tate devant une toile de Lucian Freud intitulée Girl with leaves. Elle était pour moi une fille délicate et intimidée, une fille d'une autre époque aussi.
Mais ce soir-là, dans la salle électrique, je ne m'y attendais pas du tout, elle impose avec une grâce déterminée sa voix pleine et complexe en vous regardant droit dans les yeux tandis que les miens se mouillent tant je suis émue par sa transformation. Sa gestuelle me fascine et quand elle raconte à l'improviste le soir où elle a vu Lou Reed écraser sa cigarette dans une bouteille de champagne à Manhattan, je saisis l'ampleur de ce qui sépare la jeune fille en col roulé qui chantait timidement J'ai raté ma vie en deux temps/Trop occupée à faire d'autres plans de la jeune femme super à l'aise dans ses boots noires qui chante malicieusement et avec fougue Don't say nothing/I speak for two. Elle ne parle quasiment pas entre les chansons et pourtant, il y a un lien très fort avec le public, créé uniquement par la force harmonique et visuelle du concert. C'était absolument décoiffant.

(Après)
KA participait à une séance de dédicaces mais j'ai appris comme ce genre de proposition peut être source de remords infinis d'où la décision partagée de retourner au Jéroboam vérifier que c'était vraiment un chouette endroit.
Sur la table, du jus de Cox Orange, un chocolat chaud servi sans ciller, un verre de vin rouge, des fromages subtils, des charcuteries triées sur le volet, quelques noix. C'était assez délicieux et réjouissant. En dessert, avec le vin chilien, il y avait une marquise au chocolat et aux éclats de speculoos vraiment pas mal.
Evidemment, on n'a pas arrêté de parler de KA. Je suis archi admirative de sa trajectoire, j'ai presque envie de devenir chanteuse. En fait non, je me demande plutôt, à l'aune de sa transformation, elle qui ne cesse d'évoquer sa disparition dans ses chansons, si moi aussi, dans dix ans, je m'approcherai de ce à quoi j'aspire, vraiment. Cela passe par des questions assez simples, aurai-je toujours les cheveux longs? Aimerai-je toujours les mêmes chansons? Lirai-je les vers de Sylvia Plath avec autant de frissons? Saurai-je maquiller mes yeux, jouer Les variations Goldberg, faire des canelés parfaits? Oserai-je, l'hiver, porter un manteau jaune? Aurai-je abandonné mes sacs en tissu coloré?
Mais derrière arriveront les vraies questions, ai-je été fidèle à mes aspirations? Qu'en est-il de mes convictions? Est-ce que je me suis attelée, vraiment, à ce qui comptait pour moi, au fond? Me suis-je mentie à moi-même pendant tout ce temps? M'écriras-tu encore, longtemps?
J'ai eu comme un vertige.
Le plus souvent, c'est vrai, je préfère les choses après, mais parfois non.
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Peut-être nous croiserons-nous un jour au Jéroboam, au 21 rue Léon Blum à Nantes.
Tous les disques de KA sont extras mais j'aime particulièrement La disparition et Nolita.
Je sais que j'avais promis de parler de livres mais ce concert m'a vraiment fait de l'effet... Il y aura bientôt quelques idées de cadeaux pour Noël, avec des livres donc!
(Ah, j'allais oublier, j'ai aussi une question technique suite à de nombreuses plaintes concernant la lisibilité de ces pages: comment faire pour qu'en bas de page s'affichent "Messages plus anciens" et "Accueil" afin que plus jamais vous ne soyez obligés de parcourir les archives pour retrouver ce que je raconte, par exemple, sur Millenium Mambo*? Je précise que j'ai l'ancienne version de Blogger... Merci d'avance!)
*private joke

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