mercredi 26 octobre 2011

Distraction

Il y a plusieurs mois déjà, j'avais commandé le joli et graphique Sundays are for lovers, édité chez la si délicate Lena Corwin.
Je ne vais pas tout vous révéler mais il y est question d'habitudes dominicales chez des gens dont le style me fascine comme Molly Wizenberg ou Maria Alexandra Vettese. Vous trouverez également au gré des pages en papier un peu épais des photos de boulangeries japonaises, de dîners londonniens éclairés à la bougie, de préparation de Vespa Martini. Vous serez mis en appétit par la recette en images des curry breads et je suis sûre que vous aimerez le dessin du vinyl sur fond fleuri. Vous me direz.
Le petit questionnaire est tellement charmant qu'il donne envie d'y répondre:

Là où j'habite: Rennes, dans une rue piétonne, avec vue sur les vitrines de boutiques féminines
Si je n'avais pas exercé mon métier j'aurais été: réalisatrice de films (ou scénariste, ou monteuse), grand reporter et, dans une ambition définitivement impossible, pianiste
L'année prochaine, je voyagerai: sur la côte amalfitaine au printemps, à New York et Venise à nouveau, à Berlin, sur les îles Lofoten (ce sont des espoirs)
Le dimanche représente pour moi: l'ennui des villes de province mais aussi le petit-déjeuner qui traîne en longueur, les vide-greniers, les grosses chaussettes en maille, un départ pour la côte, le film le soir au cinéma
Et j'aime manger ce jour-là: un croissant avec mon chocolat chaud, des oeufs brouillés et de la truite fumée, un peu de fromage, au dîner un plat que nous aurions cuisiné ensemble, une part de gâteau maison
Et je me lève: rarement après 9h30
Et je m'habille: un peu après 9h30 (il faut s'habiller pour aller chercher les croissants!)
Et je sourirai quand: je découvrirai qu'il est déjà parti en douce chercher les croissants
Et je me surprendrai à rêver: à un deuxième dimanche le lendemain
Et quand lundi arrivera: je grillerai puis tartinerai de beurre et de confiture une tranche du pain précieux acheté la veille, avec les croissants


Je prépare péniblement la soutenance (je vis ce moment détestable où je relis ma thèse et m'aperçois de ses nombreuses faiblesses) en repensant au week end dernier.
Nous avons marché longtemps sur le sentier le long de la côte déchiquetée, croisant de temps en tant des promeneurs ravis qui nous saluaient en souriant. Le ciel vira du bleu au rose, le vent s'intensifia sur les dunes, il était l'heure de repartir, un dîner à Tanpopo nous attendait. Je ne cesse d'être éblouie par les progrès esthétiques à chacun de nos passages. Et le goût n'est jamais en reste, toujours très précis.


Prenez par exemple cette réinterprétation du chou farci: l'enveloppe est élastique comme celle d'un mochi, le chou ayant été concassé pour être incorporé à la pâte. A l'intérieur, on trouve une farce très fine faite de porc fermier, de veau haché et d'oreille de porc pour le croquant. Le tout est surmonté de gingembre fraîchement râpé et repose au milieu d'un bouillon où infusent de minuscules éclats de feuilles d'épinard.
Les cuissons sont parfaites comme pour ce saumon confit surmonté d'une saint-jacques à peine grillée.


Ce que j'aime aussi, c'est la rituelle promenade nocturne sur les remparts ou jusqu'à la fin de la jetée, devant les lumières tremblantes des côtes voisines, dans la nuit bercée par les vagues.
Le lendemain, j'ai essayé de travailler (je crois que j'ai un problème avec le passage symbolique qui s'annonce) mais nous avons aussi préparé un super ragoût de queue de boeuf à la Nigel Slater. Impossible de servir ça avec autre chose que de la purée.


(Dans le prochain billet, une surprise)
(Pour l'instant, je retourne travailler)

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mardi 18 octobre 2011

La vie a passé comme ça (raviolis arméniens et cinéma)

Un vendredi soir, à bout de souffle, je traverse au rouge et mon pas avale frénétiquement la dernière volée de marches du cinéma. J'articule difficilement à l'ouvreur "Un garçon a déjà pris une place pour moi pour Vivre sa vie". Plus tard, devant les larmes d'Anna Karina, elle-même au cinéma, je retiens les miennes. Rarement je crois, j'ai vu une femme filmée avec autant d'amour.
La même semaine, beaucoup plus de monde pour L'Apollonide. J'aime les détails (le savon, les parfums), la texture des textiles, le sourire pâle de Céline Salette, mais j'en ressors extrêmement angoissée et des petits pains au lait furent réquisitionnés avec quelques carrés de chocolat pour oublier mon malaise.
Le lendemain, impossible de remettre la main sur le carnet de tickets de l'Arvor, à peine entamé. Il n'est ni dans la trousse suédoise ni dans les poches de la veste en laine, pourtant ses lieux d'élection. Devant l'ouvreuse, je suis un peu désemparée. En fait, elle nous voit si souvent et elle a tellement aimé le film qu'elle nous offre les places. Je ris nerveusement à plusieurs reprises pendant We need to talk about Kevin.
Si G. a beaucoup aimé le visage tellement gracieux d'Anna Karina, il est beaucoup moins convaincu par les films de Philippe Garrel, alors je vais toute seule et le coeur battant voir Un été brûlant. La voiture de Louis Garrel qui file à toute vitesse sur la route pleine de virages m'hypnotise. Plus tard, j'aimerai aussi les sandales rouges de Céline Salette (encore!), le grand plat fumant de spaghettis à la tomate apporté à table par une Monica Belluci étrangement supportable grâce à son hiératisme et la scène de fête un peu folle. J'ai trouvé que c'était un beau film sur les malentendus de l'amour.
En revanche, G. était très enthousiaste pour aller voir Portrait d'une enfant déchue à cause d'une photo de Faye Dunaway croisée dans un magazine que je boude. Pour une fois, nous sommes en avance et nous prenons le temps de choisir un goûter chez
Cozic (franchement, il n'y a pas de meilleur pain que le Lodève -un pain au levain qui me fait penser au pain Passion de son enfance, avec une croûte à peine plus dorée ou le pain T80 coupé à la demande avec sa mie crémeuse). Nous grignotons un pain au chocolat et un petit cake à la carotte et à l'orange en attendant que les lumières s'éteignent. A condition de supporter les caprices de Faye Dunaway, le film vaut la peine par sa photographie vraiment belle. Et aussi le spectacle des vêtements vintage.
Un soir, c'est moi qui abandonne toute réticence et consens à aller voir Drive. Je soupirais pourtant d'avance devant ce qu'on m'annonçait comme une histoire de vengeance d'un cascadeur. Pour se mettre dans l'ambiance (le film passait à
l'affreux cinéma vulgaire), nous sommes allés chercher une pizza que nous avons dévorée à même la boîte autour de la table basse. Elle venait de La Pimprenelle et figurez-vous que nous avons ensuite croisé la dame qui y fait les pizzas, dans la salle de cinéma (un jour, je ferai un billet sur "Où bien manger le dimanche soir à Rennes". Cela ne devrait pas me prendre trop de temps). Les pizzas de la Pimprenelle portent toutes un nom de fleur et sont faites avec de la farine complète qui donne un goût très subtil à la pâte mais pour en revenir au film, j'avoue que j'ai très régulièrement mis les mains devant mes yeux et enfouis mon visage au creux de l'épaule de G. Les bruits de chair écrasée étaient assez rudes. Même si l'histoire était palpitante, évidemment mon genre, c'est plus Garrel quand même.
Il n'y avait que le cinéma qui apaisait l'angoisse de l'attente mais un jour, ma tristesse anxieuse prend soudainement fin: j'entends la voix de mon directeur de thèse à travers le téléphone que je serre nerveusement. Après, tout est allé très vite, dernières corrections, impression, reliure, envoi définitif.
Je suis épuisée.
Ceci dit, j'ai aussi pu expérimenter deux autres dérivatifs délicieux à l'attente: les
raviolis arméniens de Sonia Ezgulian et un dîner en terrasse avec une jeune fille qui portait des boucles d'oreille bleues (elle les a aussi en vert).


Pour les raviolis, je vous laisse suivre la recette de
Sonia Ezgulian, parfaitement expliquée. J'ai aimé pétrir la pâte en pensant à sa grand-mère arménienne lui confiant le secret du lobe d'oreille. C'était un plat que je fantasmais depuis longtemps déjà, chaque fois que je l'avais croisé dans l'un de ses livres, surtout dans les jolis plateaux-télé des Editions de l'Epure où leur simple dessin donnait déjà très faim. C'est une recette très apaisante et poétique, et j'ai bien aimé le moment où j'ai apporté à table ces cercles concentriques de raviolis si appétissants et délicieux recouverts de yaourt battu bien frais parfumé à la menthe. J'ai trouvé que le bouillon brûlant que l'on utilise est crucial, je l'ai fait un peu corsé, avec une carcasse de poulet rôti, des légumes, et des herbes assemblées en petit bouquet improvisé par les mains fatiguées d'Annie Bertin.


Le dîner en terrasse, contrairement aux raviolis auxquels je pensais depuis longtemps, était une pure improvisation, ce qui est assez troublant quand on connait ma timidité et quand on sait que ce soir-là, j'invitai pourtant une fille que je n'avais jamais rencontrée à goûter les crêpes de ce qui est désormais notre crêperie préférée.
Il se trouve qu'elle vient d'emménager à une dizaine de minutes de chez moi, c'est tout droit. On passe devant la petite fontaine de la piscine puis devant les maisons immenses qui dressent leurs façades macaronnées face au grand parc.
Ce soir-là, nous avons choisi la même galette ("La tomme de Savoie, ça change tout", nous étions d'accord), j'ai raconté mon lamentable échec de tarte aux pommes boutons de rose (je ne m'avoue pas vaincue!), elle a évoqué des clés laissées à l'épicier et un amoureux qui risquait de rester dehors. Nous avons alors confié notre table et la bouteille de cidre débouchée à la serveuse amusée et nous avons filé chez l'épicier.
Une demi-heure plus tard, nous étions trois autour de la table carrée, de retour. La serveuse a apporté nos crêpes: frangipane-chocolat, pommes caramélisées-chocolat, banane rôtie-chocolat. Le lendemain, G. était jaloux de n'avoir pas été avec nous et il était impossible de ne pas l'inviter à une session crêpe en terrasse. On est resté là des heures à discuter, bien après avoir terminé une pommes-caramel beurre salé-glace vanille-chantilly et, plus sobrement, une chocolat-chantilly.
La vie peut recommencer.

La vie qui recommence, même s'il me reste la soutenance à préparer, est dans le plaisir retrouvé de se brûler les lèvres sur le chocolat du matin sans avoir peur de la journée qui commence. Elle est aussi dans les pots de crèmes caramel de Pascal Beillevaire et dans la purée de
Chris au beurre Bordier. Chris précisera ce soir-là qu'il a appris à cuisiner avec Raquel. Elle est aussi dans la soirée passée à dévorer des galettes à la ciboule en fantasmant les voyages à venir et dans les très longues promenades nocturnes dans la ville assoupie. Elle est dans le thé à la menthe servi après un couscous d'anthologie. Elle est dans les jolies nouveautés des Editions de L'Epure. Elle est dans la douceur rassurante de son nouveau cardigan en maille épaisse. Elle est dans le prochain spectacle de Vincent Delerm. Elle est dans le plaisir d'enfiler une nouvelle robe. Elle est dans cette sensation inédite, cet après-midi, d'entendre une patiente dire "Vous avez changé ma vie" et ce fut sur cette parole que s'est terminée la dernière, la toute dernière, de mes journées d'interne.

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