mercredi 27 juillet 2011

In pursuit of happiness (with you)

Il ne m'avait laissé aucun indice, il n'avait émis aucune consigne concernant un habit de circonstance. Il avait juste dit, je viendrai te chercher à midi pile à l'hôpital, il ne faudra pas être en retard!
Une pluie glaciale battait le pavé, le vent s'enroulait dans mes cheveux, je ne pouvais pas mettre la jolie robe au plastron plissé, il faisait trop froid. J'ai enfilé une veste en laine, celle avec le revers des manches rayé, sur une robe très simple et j'ai choisi les ballerines rouge vernis sur les collants noirs et épais. Je tenais à ce que personne ne se doute au travail que j'avais un rendez-vous que je pressentais ravissant, au sens où il allait m'emporter.
J'ai travaillé fiévreusement toute la matinée, ne laissant rien paraître de mon impatience et je me suis échappée à midi moins une, échevelée, sans même prendre le temps de mettre cette veste en laine ni d'ouvrir le parapluie pour le rejoindre dans la voiture près des grilles de l'hôpital. J'ai enfoui mon visage dans le col de sa chemise très anglaise.
La voiture avançait obstinément sous la pluie battante et j'éliminais les diverses destinations possibles en voyant s'éloigner les panneaux verts de direction. Je n'ai posé aucune question. Il n'y avait ni musique ni radio, juste nos voix presque surprises de partager un moment volé au travail respectif de chacun.
Bientôt, au bord d'un virage, sous des trombes d'eau, nous avons vu la mer, bondissante d'écume. Bientôt, au bord des lèvres, il y eut un sourire parce que j'avais compris que nous allions déjeuner au Coquillage (vous en souvenez-vous?)
Le champagne fut servi dans le petit salon par un garçon à grandes lunettes avenant et plein de bonnes manières. Bien installée sur le canapé tendu de velours or et grenat, j'ai bien aimé les petites crevettes grises, le maquereau mariné posé sur un galet, la sardine et le sarrasin. On entendait la pluie tranquillement sur les grandes fenêtres.
Dans la salle de déjeuner, il y a toujours cette population hétéroclite d'enfants chanceux qui guettent avec impatience le moment du dessert, de familles empesées, de vacanciers nonchalants et, à chaque fois, une dame ou un monsieur s'attablant seuls devant une assiette de homard, face à la mer.
De ce déjeuner, il me reste des couleurs: l'éclat des zestes de cumbava sur les belles huîtres, le rose profond de l'acidulée de groseilles du jardin qui entourait le pigeonneau très précisément cuit, le vert franc et frais des petits pois, le reflet argenté des sardines sur les couleurs sourdes, terrestres, de la salade de tomates.
Comme la première fois, je suis restée fascinée par le charme désuet du grand chariot des desserts dirigé presque timidement par le pâtissier au sourire discret. J'ai choisi un sablé breton au citron et aux fruits rouges, une tarte chocolat-caramel, une crème à la menthe fraîche avec un coulis de groseille et un abricot poché, un millefeuille à la vanille et une profiterole (j'aime surtout voir la pâtissier saisir le chou avec sa grande pince, en ôter le chapeau, former d'un geste souple la quenelle de glace à la vanille et la déposer en équilibre sur le chou, replacer le chapeau avec la pince et verser gracieusement la sauce au chocolate maintenue tiède sur un réchaud vintage).
La salle s'était vidée, mon sentiment de ravissement n'avait pas faibli. Quand une jeune femme est venue proposer des cafés, j'ai été aspirée par la gourmandise et, encouragée par un sourire de G. qui n'aime rien tant que les occasions où je laisse mon surmoi de côté, j'ai demandé dans un souffle si je pouvais avoir une autre profiterole. Cela a paru absolument naturel voire charmant à tout le monde, G. s'est laissé tenté par un pavé griottes-chocolat blanc et j'ai admiré cette profiterole solitaire, posée sur la grande assiette blanche, avec le chocolat velouté qui dévale du sommet du petit chou et s'étale lentement, dessinant une belle surface sombre et soyeuse.
Après ce déjeuner complètement décadent, nous avons marché longtemps dans le parc qui entoure le château Richeux. G. avait prévu dans des grands sacs les tennis et les cirés de rigueur. Nous avons déambulé dans le verger, longé l'eau, découvert des balançoires suspendues aux arbres immenses. Il ne pleuvait plus quand nous avons rejoint la pinède, il y avait un petit banc à l'abri du vent, avec vue sur le large et nous nous sommes endormis.
Plus tard, je n'ai cessé de le remercier pour cette journée particulière; avant je n'aimais pas trop les anniversaires.

BONUS!
La cerveau en ébullition après une journée de travail cependant interrompue par ce que G. et moi décrétons comme le meilleur carrot cake de Rennes (j'en reparlerai!), je ne connais pas meilleure source de consolation qu'une jolie librairie. Je clignais des yeux (épuisés) sur les étagères quand j'ai découvert le dernier opus de la délicieuse Isabelle Boinot (ce n'est pas une parole en l'air, j'ai pu le constater un soir à la Cocotte) qui a constitué ce soir une parfaite source de réconfort. Je ne vois pas très bien comment ses recettes à emporter entièrement dessinées pourraient vous laisser insensibles un soir d'été (elle vous donne le secret de ses madeleines ail-coriandre, de ses onigiri au saumon, de ses flans à l'amande et de ses shortbreads aux pépites, entre autres) mais si cela ne suffit pas, sachez qu'elle vous apprendra aussi à faire une boîte en papier carré si jamais vous vouliez offrir joliment vos shortbreads, justement. Et,pour les fans curieux, elle révèle même la liste de ses produits préférés.
Ne vous paraît-il pas désormais aussi indispensable qu'à moi?

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lundi 18 juillet 2011

I'm glad of what keeps me afloat (l'été immobile)


(C'est la valise que je ne ferai pas!)
Je n'ai pas vu l'été arriver.
Malgré la rumeur vague des vacanciers, l'évocation de bains de mer, les robes en mousseline soldées, les régimes des magazines, le clairon des glaciers, les carafes de thé glacé, je n'ai rien vu venir.
L'été revient pourtant souvent dans Un amour de jeunesse. Il inonde la maison de famille en Ardèche, là où Camille ouvre les volets en manquant chaque fois de tomber. La chaleur est un peu étouffante, le chapeau nécessaire, la cueillette des petites cerises ambigüe. Même une baignade dans l'eau claire est susceptible de provoquer une dispute. Puis c'est déjà l'hiver, Camille rôde en somnambule dans son manteau à gros boutons, trois tours d'écharpe autour du cou, elle traverse un Paris tout gris. Ses silences m'éblouissent.
Je suis sortie infiniment émue de la séance d'Un amour de jeunesse, le troisième film de la si délicate Mia Hansen-Love qui filme au plus près le secret des passions adolescentes. Dans l'intimité des appartements, pendant une leçon d'architecture, lors d'un voyage scolaire sur une plage du nord, on suit son héroïne aller à la rencontre de sa propre vie.
La chanson qui accompagne le générique de fin me suit partout.
****

Mon été immobile passé à travailler n'est pas pour me déplaire. Recluse dans mon bureau encerclée par un milliard de livres débordant de notes et de petits papiers, j'écris patiemment ma thèse. Le reste du temps, je suis à l'hôpital, essayant d'appréhender avec un flegme inédit tous les soucis du quotidien.
C'est en fait l'autre reste du temps qui permet de se montrer parfaitement flegmatique.
C'est quand nous sortons au milieu de la nuit, quand nous nous arrêtons dans une minuscule épicerie pour acheter des bonbons acidulés dont nous comparons les parfums respectifs en déambulant sur les pavés (j'adore les bouteilles de coca qui piquent et les crocodiles jaunes, il a développé au fil du temps un goût certain pour les haribat réglisse).
C'est au marché, le samedi matin, remplir son panier en faisant du name dropping: une botte d'oignons, des mini-carottes, des courgettes jaunes, des betteraves Chioggia et des petites tomates raisins chez Annie Bertin, un poulet cou-nu chez Paul Renault (il me dit "Vous devez lire les Inrockuptibles vous, non? J'aimerais bien récupérer un article où ils parlent de moi..."), des tomates Green Zebra, ananas ou Rose de Berne chez Eric Bocel, de la crème crue et des yaourts chez Roland Lécrivain.
C'est aussi, un samedi, s'arrêter dans un minuscule village côtier à la recherche d'une boulangerie. Celle-ci avait été dévalisée, quelques abeilles se disputant les traces de compote qui avait fui de chaussons aux pommes que nous ne goûterons jamais.
Nous avons alors emprunté le sentier qui descendait vers la mer, et nous avons fini au bord de l'eau, dans un restaurant inattendu, parfaitement désuet, lourds couverts sur la nappe damassée, un couple fêtait un anniversaire autour d'un plateau de fruits de mer, la serveuse a demandé si nous voulions un dessert parce que tout est fait maison. La crème brûlée brésilienne (au café) était admirable (parce que je n'aime pas les desserts, ni quoi que ce soit, au café d'habitude).
Ce soir-là, dans la chambre qu'il avait réservée, au dernier étage d'une villa aux parfums de lierre et de glycines, nous nous sommes assis sur le rebord de la fenêtre et nous avons regardé la nuit s'étaler sur les Sept Îles dispersées au milieu d'une mer sans vagues, mais dont on entendait pourtant le ressac.
J'ai déchiré avec précaution la papier cadeau du paquet qu'il avait dans son sac, c'était
la bande dessinée de Christophe Blain qui a passé pas mal de temps en cuisine avec Alain Passard. J'ai été aspirée par la vivacité de son trait et du propos. J'aime beaucoup les rires de Passard, qui fait "Ah ah" tout le temps, quand il met au point sa tarte aux pommes si romantique, quand il se fait une tartine de rillettes, quand il corrige l'un de ses cuisiniers en les tutoyant mais en les appelant Madame ou Monsieur. J'aime aussi sa concentration quand il compose son plat comme un tableau et quand il est juste absorbé par l'observation appliquée de la fumée qui s'élève de la poêle. J'ai très envie de ses fraises aux berlingots de Montmorency et puis un jour, essayer de faire sa dragée de pigeon à l'hydromel. Evidemment, on a tout de suite envie de réserver à L'Arpège!
C'est toujours, sinon, le cinéma autant que possible (c'est un été très Olivier Assayas dont L'eau froide m'a fait parcourir des dizaines d'annonces à la recherche d'anciens numéros des Cahiers du Cinéma. En passant en revue toutes les couvertures de ma prime adolescence, j'ai eu le vertige devant tous ces films, que je n'avais pas vus), et les romans, juste un peu, je n'en ai jamais si peu lus, parce que j'ai d'autres choses urgentes à lire. C'est surtout
Paris est une fête, dont elle m'a donné envie au détour d'un échange, parce que j'adore quand Hemingway et sa femme vont aux courses avec les bons petits sandwiches qu'elle a préparés. J'aime aussi quand ils ont un peu d'argent et discutent du restaurant où ils vont s'offrir un dîner. Parfois, ils déjeunent à la maison parce qu'il y a "Des petits radis et du bon foie de veau avec de la purée de pommes de terre et une salade d'endives. Une tarte aux pommes".
Et puis, parce que j'ai hâte de voir son prochain spectacle, il y a les chansons de
Vincent Delerm, les plus anciennes, mes préférées, rassurantes, où il n'est question de rien d'autre qu'un appartement qu'on quitte ou d'une file d'attente au cinéma, et qui donnent envie de faire du piano.

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