lundi 27 décembre 2010

Faut-il que nul ne résiste (aux butterballs de Mary)

(Photo prise dans le bureau de G. avec ma nouvelle lampe Céline Saby, reçue dans du joli papier cadeau! Je l'aime vraiment beaucoup. J'espère que vous avez passé un chouette Noël aussi!)Ce soir-là, dans le métro, à Chevaleret, il y a un grand type qui monte, jetant sur les autres passagers un regard dur derrière ses lunettes à monture stricte. Il a mon âge environ, des chaussures cirées de près et une redingote raide. Installé sur un strapontin, il se frotte les mains, puis sort de son petit cartable à boucle dorée une revue médicale. Un interne en neurologie! Il m'a rappelé comme je pouvais me cacher derrière les portants de journaux du point-presse de l'hôpital quand j'y avais cours mais que je voulais éviter les autres étudiants lorsque le prof était en retard.
(Je suis un petit peu asociale. L'autre jour, alors que ce n'était pas du tout le propos, on m'a même dit sur un ton de reproche que j'étais mystérieuse).
C'était début décembre et j'étais toute seule à Paris pour un congrès. Je n'avais jamais vu la neige sur la Seine. Je guettais tous les petits tronçons de métro aérien. Je ressentais à cette occasion une discrète mélancolie devant les façades qui défilaient, toutes ces fenêtres, les vies qui s'y jouent derrière, tous les gens qu'on ne connaîtra jamais et dont on ne sait rien.
Je dormais chez un oncle et sa copine, ils ont une vie de famille à laquelle je ne suis pas du tout familière. Je découvre les chaussures de Barbie dispersées sur le parquet du couloir, les numéros d'Astrapi dans les toilettes, la vaisselle en mélamine avec les gobelets à anses doubles, le blanc de poulet coupé en petits morceaux, le ketchup qui dessine un sourire dans l'assiette, le gel douche à la fraise, le dentifrice à la cerise, les dessins partout sur les murs, les horaires (de lever, de coucher) qu'il faut absolument respecter. Un autre monde.
Je vais à pied à la Salpétrière, j'évite soigneusement tout collègue. Une infirmière strasbourgeoise puis un directeur d'hôpital dijonnais me demandent le chemin. Je trouve un siège libre au fond de l'amphithéâtre jauni et je n'en bouge plus.
Heure du déjeuner. Hors de question d'aller au self de l'hôpital avec les autres. J'observe le plan de métro de mon Moleskine fatigué et je relève que Rose Bakery 2 n'est qu'à quelques stations. Je fais donc diversion et je m'échappe.
Tempête de neige sur le beau parc de la Salpétrière (j'apprendrai plus tard par S., qui a été aide-soignant là-bas, qu'il y a des couloirs souterrains labyrinthiques où il se perdait régulièrement avec des patients peu rassurés). Je pense à une exposition et aux beaux arbres enneigés de Kiarostami qui m'avaient captivée.
A Rose Bakery, une dernière table m'attendait, et, une fois n'est pas coutume, le service est adorable. Une Japonaise qui porte un sweat-shirt turquoise décoré d'un noeud à l'encolure installe la nappe en papier, le pain frais et le beurre tendre, un serveur avec une chemise à carreaux et beaucoup de cheveux prend la commande (une assiette de légumes et un chocolat chaud). Une jeune femme avec des cheveux longs, lisses et sombres redresse sur le dossier de sa chaise son beau manteau Miu Miu camel et noir, derrière moi deux Anglaises réfléchissent à la pertinence ou non de partager un jus banane et datte au moment où je choisis le cake chocolat-blanc/matcha avec l'approbation de la serveuse. Je repars au colloque à regret.
Dans les rues enneigées, tout le monde marche à petits pas mal assurés et le lendemain, chez
Vanina Escoubet, entre deux essayages désastreux, nous parlerons de la dramatisation très parisienne de la situation avec l'une de ses amies à qui une petite robe noire allait en revanche à ravir. Le froid piquant et constant me servira plus tard de prétexte lorsque je fus confrontée à une paire de mitaines toutes douces (mais bizarrement, les jours suivants, je ne cesserai de les égarer).
En me promenant seule dans mes quartiers préférés, je me suis souvenue de mes petites semaines parisiennes, quand j'étais ado, et que j'avais un sac à dos rouge. Je dormais déjà chez le même oncle, mais il n'y avait pas encore d'enfants. Je me préparais des petits sandwiches le matin avec une bouteille d'eau glacée pour transformer le sac en glacière et je sillonais la ville jusqu'au soir, traînant de parcs en librairies. J'aimais bien.
La vie a changé (ouf!) et dans quelques jours je serai à Paris avec G., mais le goût des butterballs de Mary me parait intemporel.
Simplissimes à préparer, délicatement fondants, on n'en fait qu'une bouchée. Ils m'ont fait penser aux
Baci di Dama que j'avais découverts sur le blog d'Eva, autrefois.

Les butterballs de Mary, une enquête de
Béa

-230 g de beurre mou
-100 g de sucre de canne blond
-250 g de farine
-125 ml de ganache au chocolat noir (j'ai pris du caramel à tartiner au chocolat noir de
Madame Durand)
-un peu de sucre de canne blond en plus et de la vanille en poudre pour enrober les biscuits

Travailler le beurre en pommade jusqu’à ce qu’il soit bien aéré (3 à 5 min).
Ajouter le sucre. Une fois que la préparation est homogène, ajouter la farine de manière à obtenir une boule.
Envelopper cette boule de pâte dans du papier film et réfrigérer pendant au moins 3 heures (cela permet aux cookies de ne pas s’étaler lors de la cuisson).
Préchauffer le four à 190 C.
Détacher un morceau de pâte de la boule et former des petites boules de 2 cm de diamètre puis les congeler pendant 30 minutes
Au bout de ce temps, les déposer sur la plaque du four recouverte de papier sulfurisé et faire cuire pendant 13 à 15 minutes, jusqu’à ce que les biscuits soient fermes, mais ne brunissent pas.
Laisser refroidir sur une grille.
Réunir les biscuits deux par deux avec la ganache ou la tartinade choisie (c'est bien qu'elle ne soit pas trop sucrée, je ne sais pas si du Nut-Nut conviendrait pas exemple) puis rouler le butterball dans le mélange sucre-vanille.
A grignoter avec un verre de lait bien frais!

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mardi 21 décembre 2010

Ta voix que je connais si bien



Je l’ai cherché partout. J’ai soulevé des piles de romans, j’ai regardé derrière les bibliothèques, j’ai examiné tous les tiroirs et les papiers qui s’y entassent déjà, j’ai rageusement vidé des tonnes de boîtes. Mon thé refroidissait lamentablement. Je n’arrivais pas à passer à autre chose. Il fallait absolument que je retrouve le petit disque à pochette bleue, la compilation CQFD des Inrocks 2002/2003, la première session.
Hiver 2002, je porte essentiellement des jeans retroussés et des marinières. Je ne connaissais pas encore G., bien qu’il semblerait que nous ayons vu Je t’aime, je t’aime d'Alain Resnais dans la même salle un samedi soir.Hiver 2002, je ne cuisine pas souvent sur les deux petites plaques électriques du mini-studio de la rue Nantaise. Des pâtes au thon, du riz sauté (oigons + saucisses chinoises + épinards), parfois une cuisse de poulet rôtie dans un micro four capricieux, souvent des sardines écrasées sur une tartine beurrée ou une banane tranchée dans un bol de céréales. Assez régulièrement, rien d’autre qu’un œuf dur, comme l’étaient les temps à cette époque-là.
Hiver 2002, je suis encore assidûment les cours à la fac de médecine. Cela ne durera pas vraiment.
Hiver 2002, je passe pas mal de temps rue Saint-Melaine avec Noémie, une fille qui étudie la médecine avec moi quand elle n’est pas hôtesse de l’air. Elle m’avait montré une photo d’elle en uniforme avec le petit chapeau ridicule. Je ne l’avais pas reconnue, à cause du maquillage. Sinon, l’été, elle aime tranquillement faire du canoë sur les eaux bretonnes. Elle a des chaussons autrichiens en laine bouillie et un excellent accent anglais. Elle aime ma ratatouille et mes pâtes à la tomate. C’est une lectrice assidue de Paul Auster et David Lodge. On va tout le temps au cinéma, ce qui implique d'y voir parfois n’importe quoi. J’apporte des disques mais il ne faut pas les écouter trop fort, sa colocataire a souvent des migraines. Comme c’est l’année de la sortie du premier album de Vincent Delerm, évidemment elle y a droit de façon intensive. Elle adore Le monologue shakespearien.
Cette année-là, il y a aussi La disparition, Out of season, Le stade de Wimbledon, Millenium Mambo, La famille Tenenbaum et Ivre de femmes et de peinture.
Hiver 2002, je n’ai pas envie de rentrer chez mes parents pour Noël, je me ferai voler le cadeau prévu pour mon père (un recueil de nouvelles chinoises), ma mère m’offrira une théière (encore).
Hiver 2002, les Inrocks* lancent un concours. Vingt-et-une chansons sélectionnées parmi des milliers reçues à la rédaction, qui demande alors aux lecteurs de se prononcer, leur vote comptant pour un tiers dans la désignation de celui qui se verra proposer un maxi cinq titres chez un label. Sur ma mini-chaîne, j’écoute avec concentration les vingt-et-une chansons. Je retiens Innocent blind par Three guys never in (plage 21), End and start again par Syd Matters (plage 9) et Tous pareils par Florent Marchet (plage 4). Pour ce dernier, plus que la chanson en question (qui comporte un chœur féminin assez insupportable), c’est surtout le petit texte qui accompagne sa photo très simple qui m’avait touchée. Il y raconte notamment qu’il fait assez bien les spaghettis aux fruits de mer.
Il se trouve que samedi dernier, j’applaudis le même Florent Marchet dans une toute petite salle de concert rennaise pour son dernier album, absolument de saison puisqu’il s’appelle Courchevel. Le set est assez triste, disons qu’il semble plutôt bon dans cet espace-là, les sentiments entre deux eaux, la mélancolie dont on ne veut pas vraiment se séparer. L’effet est renforcé par le peu d’échanges avec le public lui-même franchement glacial.
A la fin du concert, quelques fans se rassemblent autour de la buvette. Je discute de la suite de la soirée (on mange où ?)** avec G. et ma sœur qui travaille pour/avec Florent Marchet (ça c’est quand même dingue quand je repense à l’article des spaghettis aux fruits de mer). Il surgit alors, vêtu d’une chemise blanche avec une jolie lavallière. Je suis un peu gênée, rien de spécial à lui dire, pas vraiment fan, trop timide pour faire une blague sur des spaghettis… Rien à ajouter en fait. Mais je suis quand même un peu émue quand il m’embrasse pour me saluer, parce que je repense à l’hiver 2002, quand j’avais entendu sa voix pour la première fois.
Vous comprenez pourquoi je voulais absolument retrouver la petite compil (cette année-là, il y avait aussi Peter von Poehl !). Elle était dans le bureau de G., près de quelques BD. J’ai aussi ressorti le numéro des Inrocks associé et je l’ai feuilleté le cœur serré. J’ai senti que le temps était passé, même si je porte encore quelques marinières. Dans les dernières pages, j’avais oublié que comme c’est un numéro entièrement rédigé par les lecteurs, un certain Giacomo avait écrit un poème intitulé Vingt, cent, mille fois Delerm. Un poème pas terrible en soi mais que j’aimais bien quand même parce que je sentais, entre les lignes, que Giacomo aimait Delerm autant que moi, imbibé jusqu’à la moëlle de son univers, de ses mots (et puis la photo qui illustrait l’article était assez chouette).

*Je ne lis plus trop les Inrocks, je n’aime pas du tout leur nouvelle formule, racoleuse et vulgaire. Je préfère feuilleter les vieux numéros et je reste fascinée devant la longueur de certaines interviews, denses et riches (par exemple la rencontre avec Neil Hannon à Florence dans le numéro 53 ). Le problème c’est qu’à chaque nouveau numéro reçu dans la boîte aux lettres (je suis abonnée depuis que le cadeau offert avec l’abonnement avait été un Diana F+ qui, désormais équipé d’une chambre de développement instantané, ne me quitte plus), il y a un article qui me plait : interview de Jason Schwartzman, photo Catherine Deneuve/Delphine Seyrig, texte de Christophe Honoré sur ses jeunes années rennaises…
Quand j’étais ado, je rêvais que l’un de mes courriers soit publié dans la rubrique Ping-Pong, ce qui ne s’est malheureusement jamais produit.

**Question purement défensive et occupationnelle puisque ce soir-là, G. et moi avions deux billets achetés à la dernière minute à un garçon qui avait une parka-moumoute pour les Transmusicales. Le dîner était donc absolument accessoire et se résuma, dans une certaine cohérence avec la soirée, à un maxi kebab-sauce blanche-harissa-sans frites.
C'était sans compter que vers minuit, m'extrayant d'une des salles de concert afin de garder des tympans intacts pour mes vieux jours, alors que je traînais dans le hall principal avec un gobelet de thé à la menthe à la main (l'endroit était magnifique, avec des méduses géantes lumineuses suspendues au plafond noir), je découvre dans la vaste salle de "restaurant" multiples petits stands terriblement alléchants: pizza maison, sandwiches mexicains et libanais, accras, beignets et chaussons fourrés, galette-saucisse (biologique!), hot-dogs, crêpes au chocolat (maison!)
J'avais hâte que G. me rejoigne pour choisir (ses tympans sont plus solides que les miens).

***A la fin du concert, il y avait aussi Olivier Adam, qui attendait Florent Marchet, un ami visiblement. Ca m’a fait bizarre parce qu’il y a une nouvelle d’Olivier Adam que j’adore. Du coup, j’ai eu envie d’aller feuilleter ses autres romans lundi soir. Et en exergue à l’un d’entre eux, il cite Dominique A.

Fais moi revenir au monde
Le toucher sans mettre de gants
Même pour sentir qu’il s’effondre
Même s’il n’y croit plus comme avant
Fais moi retrouver mon ombre
Perdue dans l’ombre qui me tient
Le souvenir du lendemain


A la lecture de ces quelques lignes, en entendant la voix de Dominique A. ressurgir du passé, au milieu des allées de la librairie où les gens s’affairaient hypocritement à trouver des cadeaux de Noël, j’ai eu un peu envie de pleurer. Beaucoup de choses sont parties en miettes cette année, il faudrait que je m’affaire à les réparer.

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